Création générée par une intelligence artificielle
Peut-elle être considérée comme une œuvre protégée.
IA : Intelligence Artificielle
Le développement accru de l’utilisation des intelligences artificielles génératives, c’est-à-dire celles qui permettent de générer des textes, images, musiques, et plus généralement toutes sortes de contenus grâce à la demande formulée par l’utilisateur (=le prompt), soulèvent de nombreuses questions quant au statut à attribuer à ces créations (output).
Dans la mesure où ces dernières peuvent revêtir des formes d’expression similaires, voire identiques à celles qu’un artiste physique pourrait créer de ses propres mains, peuvent-elles être considérées comme des œuvres de l’esprit au sens du droit de la propriété intellectuelle, de telle sorte que l’utilisateur jouirait d’un droit exclusif sur la création générée ?
À ce titre, il convient de se pencher sur les conditions posées par le droit français pour qualifier une création d’ « œuvre de l’esprit », à savoir une création de forme originale, mais également d’appréhender la qualification particulière du statut d’ « auteur ».
Une création de forme
Une œuvre est réputée créée, au sens du Code de la Propriété intellectuelle, « du seul fait de la réalisation, même inachevée, de la conception de l’auteur », et ceci « quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination ». Il résulte ainsi logiquement de ces textes, que la création prétendant bénéficier du statut protecteur du droit d’auteur, doit revêtir une forme matérialisée perceptible par les sens. En effet, les idées, de libre parcours et non matérialisées, ne peuvent en aucun cas faire l’objet d’un droit exclusif en matière de droit d’auteur.
Si l’on s’en tient à cette première condition, rien a priori ne permet d’écarter les créations générées par l’intelligence artificielle du statut du droit d’auteur. En effet, il découle du statut même de cet outil dit « génératif » que le contenu créé revête une forme perceptible. Les contenus ainsi générés se confortent donc bien à la première exigence posée par le Code de la Propriété Intellectuelle.
Une création originale
La condition de mise en forme est nécessaire, mais non pour autant suffisante pour l’accès à un droit exclusif. En effet, cette dernière doit aussi et surtout être « originale ».
Mais comment poser une définition de l’originalité ? Le Code de la Propriété Intellectuelle n’a pas su le définir et ne traite même pas de cette notion cadre comme une condition d’accès au droit d’auteur, et pour cause, c’est la jurisprudence qui a dû se charger d’encadrer la notion à travers différentes approches, manquant parfois d’uniformité au regard des différents genres d’œuvres pouvant prétendre à la qualification d’œuvre de l’esprit (photos, textes, vidéos, logiciels, peintures, etc.).
Traditionnellement, l’originalité est caractérisée lorsque l’œuvre porte « l’empreinte de la personnalité de son auteur » (15 mai 2015, Cour de cassation, Pourvoi n° 13-27.391), mais les terminologies utilisées par les Juridictions prêtent occasionnellement à confusion. Ainsi, la CJCE a pu se pencher sur la question en abordant le caractère original d’une œuvre (un « programme d’ordinateur » en l’espèce) par le fait de pouvoir caractériser ce dernier comme « une création intellectuelle propre à son auteur » (C.J.C.E., 16 juillet 2009, C-5/08, Infopaq), ou encore la « marque d’un apport intellectuel » (Arrêt Pachot, Ass. Plén., 7 mars 1986, n° 83-10477) en ce qui concerne un logiciel.
Bien que les termes utilisés par la jurisprudence diffèrent quelque peu quant à l’approche de l’ « originalité », il n’en reste pas moins que le critère déterminant, bien qu’abstrait, de cette qualification, sera le lien qui existe entre l’œuvre et son auteur. C’est en ce sens que l’on parle d’ « empreinte de la personnalité de son auteur », ce dernier a dû pouvoir exprimer ses choix personnels en fonction de sa personnalité, ses influences, ses choix, ses envies, son état d’esprit, son humeur, son inspiration à un moment donné et dans un lieu donné.
Ainsi, ce n’est pas tant le critère d’ « originalité » à proprement parler qui peut poser un problème dans le cadre d’une création générée par l’intelligence artificielle, mais c’est surtout l’articulation de sa définition avec le mécanisme même de création qui se met en place grâce au système de « prompt », dont l’issue est laissée à un algorithme lui-même nourrit en amont, et destiné à créer. Si nous donnons exactement le même prompt à deux IA génératives différentes, vont-elles nous générer le même résultat ? Non.
Alors qui est celui à qui il est possible de rattacher la paternité d’une potentielle œuvre ? L’utilisateur ? L’éditeur du système d’IA ? Les deux ?
L’originalité étant appréhendée comme un critère liant l’œuvre à son auteur, comment qualifier l’auteur lorsqu’une intelligence artificielle générative s’immisce dans le processus de création ?
Un auteur
C’est sur ce critère que l’accès au statut du droit d’auteur des créations générées par l’IA va se heurter à un obstacle juridique.
Bien que les deux précédents critères ne paraissent pas insurmontables à remplir afin d’accéder à la protection d’une œuvre, il n’en reste pas moins que le point le plus important, pour prétendre à la qualification d’une telle création, est qu’il faut un auteur.
Heureusement ou malheureusement, le droit français ne reconnaît, aujourd’hui, le statut d’auteur que sous le statut d’une personne physique. (Cour de Cassation, civile, chambre civile 1, 15 janvier 2015, 13-23-.566)
En ce sens, nous pouvons écarter l’hypothèse dans laquelle le concepteur du logiciel d’IA pourrait être qualifié d’auteur (ce qui est différent d’être titulaire de droits d’auteurs). À titre d’exemple, OpenIA cède tous ses « éventuels » droits à l’utilisateur sur les créations générées grâce à l’outil ChatGPT, Dall-E ou Sora.
Mais alors, cet utilisateur peut-il être qualifié d’ « auteur » alors qu’il n’est finalement pas exclusivement maître de l’issue du processus, et qu’un simple prompt tenant sur 5 mots permet parfois d’obtenir des résultats bluffants ?
Là encore, il faut faire la différence. L’assistanat d’un outil lors du processus créatif n’est pas pour autant forcément exclusif du statut d’auteur et donc de la potentielle qualification d’œuvre. Si l’utilisateur arrive à mettre en avant que l’intelligence artificielle n’ait été qu’un « moyen » d’exprimer et mettre en forme son empreinte créative, alors il semblerait que sa création puisse être protégée par le droit d’auteur, on parlerait alors de création assistée par l’IA. À l’inverse, lorsque la création serait entièrement générée par le système d’IA, sans expression particulière revêtant un caractère personnel, alors la création risque de se heurter au statut de l’auteur qui ne peut être qu’une personne physique, l’excluant du statut d’œuvre de l’esprit.
Une décision de l’office du droit d’auteur des États-Unis a également rendu une décision en le 21 février 2023, dans laquelle elle soutient que les images de la bande dessinée « Zarya of the Dawn », générées complétement par un système d’IA générative ne peuvent être protégées par le droit d’auteur de ce fait.
Quoi qu’il en soit, il est important de préciser que les décisions n’abondent pas sur le sujet, mais qu’elles ne sauraient tarder aux vues des nombreuses questions que les intelligences artificielles soulèvent.
Le droit français actuel ne régi pas de manière autonome ces créations générées par ordinateurs, à l’inverse de nos voisins anglais. Il est très probable que notre législation soit amenée à s’adapter à ces nouvelles formes de création.
En définitive, le seul fait d’utiliser un système d’intelligence artificielle générative ne peut à lui seul faire obstacle à la qualification d’ « œuvre » du contenu généré, à partir du moment où l’empreinte de sa personnalité pourra être rapportée et que l’IA n’a représenté qu’un outil d’assistance. À l’inverse, une création générée entièrement grâce à une IA générative, ne peut prétendre à une qualification d’œuvre en l’état actuel du droit.
Juriste
- 26 février, 2024