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Actualités de février 2025
Harcèlement moral
La cour reconnaît le harcèlement institutionnel
Le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende (article 222-33-2 du Code pénal).
Quels étaient les faits ayant donné lieu au litige ?

L’entreprise France Telecom subit une privatisation au début des années 2000 et s’ouvre à la concurrence, ce qui conduit à la mise en œuvre de grands plans de restructurations visant à la suppression de 22 000 postes sur 120 000.
S’ensuit une politique visant à inciter les salariés au départ, entrainant une vague de suicides et de tentatives de suicide entre 2007 et 2009.
Un syndicat porte plainte et une enquête est ouverte.
La Société et plusieurs cadres dirigeants, dont l’ex-PDG de la société ainsi que son numéro deux, sont mis en examen en décembre 2009 du chef de harcèlement moral et complicité de harcèlement moral. Ceux-ci sont condamnés successivement par la chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris le 20 décembre 2019, puis par la cour d’appel de Paris le 30 septembre 2022, à un an d’emprisonnement et 15.000 euros d’amende.
La Cour d’appel reconnaît que les prévenus se sont rendus coupables de faits de harcèlement moral institutionnel, défini comme des « agissements définissant et mettant en œuvre une politique d’entreprise ayant pour but de structurer le travail de tout ou partie d’une collectivité d’agents, agissements porteurs, par leur répétition, de façon latente ou concrète, d’une dégradation potentielle ou effective des conditions de travail de cette collectivité qu’outrepassent les limites du pouvoir de direction. »
Les prévenus se pourvoient en cassation, en faisant valoir que le harcèlement moral institutionnel n’entre pas dans les prévisions de l’article 222-33-2 du Code pénal et que l’usage de cette notion par les juges constitue une interprétation jurisprudentielle nouvelle et imprévisible qui ne peut pas s’appliquer de façon rétroactive aux faits concernés.
Quelle est la solution dégagée par la Cour de cassation ?
La Cour de cassation confirme l’arrêt de la Cour d’appel par une décision définitive, sans renvoi, retenant que le harcèlement moral institutionnel est bel et bien prévu par l’article 222-33-2 du Code pénal. La Cour donne une définition précise et détaillée des éléments constitutifs de ce délit.
Selon la Cour qui s’appuie sur les travaux préparatoires de la loi à l’origine de l’article 222-33-2 du Code pénal, le législateur souhait donner au harcèlement la portée la plus large possible.
En outre, la chambre criminelle rappelle que la Cour n’a jamais interprété l’infraction de harcèlement moral comme exigeant un rapport direct et individualisé, ni exclu qu’elle puisse revêtir une dimension collective.
Elle considère ainsi que le harcèlement moral institutionnel n’est qu’une déclinaison, face à une situation de faits nouvelle, de l’infraction prévue l’article 222-33-2.
Le délit de harcèlement moral institutionnel, prévisible et ne procédant pas d’un revirement de jurisprudence, était donc bel et bien susceptible d’être opposé aux prévenus.
La Cour donne une définition précise du harcèlement institutionnel comme étant des : « agissements visant à arrêter et mettre en œuvre, en connaissance de cause, une politique d’entreprise qui a pour objet de dégrader les conditions de travail de tout ou partie des salariés aux fins de parvenir à une réduction des effectifs ou d’atteindre tout autre objectif, qu’il soit managérial, économique ou financier, ou qui a pour effet une telle dégradation, susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité de ces salariés d’altérer leur santé physique ou mentale, ou de compromettre leur avenir professionnel ».
La Chambre criminelle caractérise :
- L’élément intentionnel de l’infraction : la connaissance des effets de la politique adoptée (les prévenus, qui avait une connaissance ancienne et approfondie de l’entreprise, avaient connaissance des effets négatifs du maintien de la méthode adoptée sur la santé des agents et sur leurs conditions de travail et ont maintenu leur politique, tout en ayant connaissance des dégâts humains causés par celle-ci) ;
- L’élément matériel de l’infraction : la méthode de mise en œuvre d’une politique d’entreprise qui excède les limites du pouvoir de direction, à l’égard d’un collectif de salariés non individuellement identifiés (la politique de restructuration menée par les dirigeants reposait sur la création d’un climat anxiogène et s’était concrétisée par la mise en œuvre de trois agissements spécifiques dont l’objet visait précisément à dégrader les conditions de travail afin de contraindre les salariés au départ : la pression donnée au contrôle des départs dans le suivi des effectifs à tous les niveaux de la chaîne hiérarchique, la prise en compte des départs dans la rémunération des membres de l’encadrement et le conditionnement de la hiérarchie intermédiaire à la diminution des effectifs lors des formations dispensées).
En outre, la Cour retient que lorsque les agissements ont « pour effet » une dégradation des conditions de travail, il est nécessaire d’identifier précisément les victimes de tels agissements pour constater de tels effets, mais que lorsque les agissements ont « pour objet » une telle dégradation, comme c’est le cas pour le harcèlement moral institutionnel, cette finalité suffit à caractériser le harcèlement.
Il n’est alors pas nécessaire que les actes s’inscrivent dans le cadre d’une relation interpersonnelle entre l’auteur et sa victime, ni que ces dernières soient nommément désignées. Il suffit que les agissements visent « un collectif de salariés non individuellement identifiés ».
La Cour de cassation confirme ainsi la condamnation des prévenus prononcée par la Cour d’appel de Paris.
Juriste
- 6 mars, 2025