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Actualités d'octobre 2024
discrimination syndicale
Précision sur la communication des bulletins de paie
RAPPEL DES RÈGLES APPLICABLES
Dans le cas d’un litige portant sur une discrimination, le Code du travail prévoit un aménagement de la charge de la preuve : le salarié soumet au juge les éléments de fait laissant supposer l’existence d’une telle discrimination, charge à l’employeur de prouver ensuite que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination (article L. 1134-1 du Code du travail).
À cette occasion, le salarié peut demander au juge d’ordonner à l’employeur de produire des contrats de travail ou des bulletins de paie d’autres salariés et le juge peut l’accorder dès lors que cette atteinte à la vie personnelle d’autres salariés est indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi (Cass. soc., 1ᵉʳ juin 2023, n° 22-13.238).
Le traitement et la communication de données personnelles sont régis par le règlement européen RGPD.
Quels étaient les faits ayant donné lieu au litige ?
Un salarié, s’estimant victime de discrimination syndicale, saisit les prud’hommes de demandes d’indemnisation et rappels de salaire.
Les juges du fond ordonnent à l’employeur de produire les historiques de carrière de neuf salariés, ainsi que leurs bulletins de salaire du mois de décembre sur dix années.
L’employeur, invoquant le RGPD, se pourvoit en cassation.
Quelle est la solution dégagée par la Cour de cassation ?
La Cour de cassation retient en premier lieu que le RGPD s’applique à la production en tant qu’élément de preuve de documents contenant des données personnelles, tels que les bulletins de salaire des salariés tiers ainsi qu’un historique de la carrière de ceux-ci, ordonnée par une juridiction prud’homale dans le cadre d’une procédure juridictionnelle engagée par un salarié se plaignant d’une discrimination syndicale.
Elle constate à ce titre que la communication par l’employeur de bulletins de paie et leur mise à disposition d’un salarié invoquant une discrimination syndicale, ordonnée par une juridiction prud’hommale, répond aux exigences de licéité du RGPD.
La Cour relève ensuite qu’en application du RGPD, les données à caractère personnel doivent être adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées. Il en découle que, lorsque seule une partie des données apparaît nécessaire à des fins probatoires, la juridiction nationale doit envisager la prise de mesures supplémentaires en matière de protection des données, telles que :
- la pseudonymisation (remplacement des données directement identifiantes comme les nom, prénom….par des données indirectement identifiantes comme un alias, numéro….) ;
- ou toute autre mesure destinée à minimiser l’entrave au droit à la protection des données, comme une injonction adressée aux parties auxquelles ces documents ont été communiqués de ne pas les utiliser à une autre fin que celle de l’administration de la preuve lors de la procédure en cause.
La Cour rappelle ainsi qu’il appartient au juge de rechercher si la communication des données est indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi. En outre, le juge doit cantonner, au besoin d’office, le périmètre de production de pièces sollicitées au regard notamment des faits invoqués au soutien de la demande en cause et de la nature des pièces sollicitées.
Le juge doit également veiller au principe de minimisation des données à caractère personnel, en ordonnant, au besoin d’office, l’occultation sur les documents à communiquer par l’employeur au salarié de toutes les données de comparaison à caractère personnel des salariés non indispensables à l’exercice du droit à la preuve.
Pour ce faire, il lui incombe de s’assurer que les mentions, qu’il spécifiera comme devant être laissées apparentes, sont adéquates, pertinentes et strictement limitées à ce qui est indispensable à la comparaison entre salariés en tenant compte du ou des motifs allégués de discrimination.
Enfin, le juge doit faire injonction aux parties de n’utiliser ces données contenues dans les documents dont la communication est ordonnée, qu’aux seules fins de l’action en discrimination.
En l’espèce, la cour d’appel n’avait pas veillé au principe de minimisation des données ni enjoint aux parties de n’utiliser celles-ci que dans le cadre de l’action en discrimination. L’arrêt est donc cassé et renvoyé devant la même Cour d’appel autrement composée.
Juriste
- 6 novembre, 2024