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Actualités de septembre 2023
congÉ payés et arret de travail
Mise en conformité avec le droit européen par la Cour de cassation
Cass. Soc., 13 septembre 2023, n°22-17.340, n°22-17.638, n°22-10.529 FP-BR
Opérant un revirement de jurisprudence par ces 3 arrêts du 13 septembre 2023, la Cour de cassation s’aligne sur le droit européen concernant des affaires traitant des congés payés et des arrêts maladie.
En effet, la Cour a décidé d’écarter les dispositions du code du travail (art. L. 3141-3 et L. 3141-5) non conformes au droit européen (article 31§2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne sur le droit au repos).
Il en résulte que :
- les salariés malades ou accidentés acquièrent des droits à des congés payés sur leur période d’absence, même si cette absence n’est pas liée à un accident de travail ou à une maladie professionnelle ( soc., 13 septembre 2023, n° 22-17.340);
- en cas d’accident du travail, le calcul des droits à congé payé ne sera plus limité à une période d’un an, contrairement aux dispositions de l’article L 3141-5-5° du Code du travail ( soc., 13 septembre 2023, n° 22-17.638) ;
- la prescription du droit à congé payé ne commence à courir que lorsque l’employeur a mis son salarié en mesure d’exercer celui-ci en temps utile ( soc., 13 septemabre 2023, n° 22-10.529).
Acquisition des congés payés durant un arrêt de travail pour
maladie non professionnelle :
Dans l’affaire ayant donné lieu au pourvoi n°22-17.340, des salariés ont contracté une maladie non professionnelle qui les a empêchés de travailler. Par la suite, ils ont calculé leur droit à congé payé en incluant la période au cours de laquelle ils n’ont pas pu travailler. En application du droit de l’Union européenne, la cour d’appel leur a donné raison. L’employeur a formé un pourvoi en cassation mais la Cour de cassation approuve la cour d’appel.
En application des articles L. 3141-3 et L. 3141-5 du Code du travail français, les périodes pendant lesquelles l’exécution du contrat de travail est suspendue en raison d’une maladie d’origine non professionnelle ne sont pas assimilées à des périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé payé. Il en résulte que le salarié atteint d’une maladie non professionnelle n’acquiert pas de jours de congé payé durant son arrêt de travail.
Jusque-là, la Cour de cassation faisait une application stricte des règles du code du travail, ne pouvant pas appliquer directement une directive européenne (2003/88/CE) prévoyant un congé minimum de 4 semaines à tous salariés sans condition de travail effectif.
S’alignant sur la jurisprudence européenne jugeant notamment que les travailleurs absents pour une cause de maladie, situation imprévisible et indépendante de leur volonté, ne sauraient être exclus du droit à congé payés, et s’appuyant sur l’article 31 § 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’union européenne qui reconnaît à tout travailleur le droit à une période annuelle de congés payés, la Cour de cassation juge qu’il convient, désormais, d’écarter les dispositions du droit français qui ne sont pas conformes au droit de l’Union, et de considérer que les salariés dont le contrat de travail est suspendu en raison d’un arrêt de travail pour maladie d’origine non professionnelle acquièrent des droits à congés payés durant cette période.
Pas de limite à l’acquisition des congés payés en cas
d’accident du travail :
Dans l’affaire ayant donné lieu au pourvoi n°22-17.638, un salarié a été victime d’un accident du travail. Par la suite, il a calculé ses droits à congé payé en incluant toute la période au cours de laquelle il se trouvait en arrêt de travail. En application du droit français, la cour d’appel a considéré que ce calcul ne pouvait pas prendre en compte plus d’un an d’arrêt de travail. Le salarié a formé un pourvoi devant la Cour de cassation qui censure la cour d’appel.
En application de l’article L. 3141-5 du Code du travail français, les périodes de suspension du contrat de travail en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle sont assimilées à du temps de travail effectif, mais uniquement pendant une durée ininterrompue d’un an. Il en résulte une limite à l’acquisition des congés à la première année d’arrêt de travail et qu’au-delà le salarié n’acquiert plus de congés payés, règle que la Cour de cassation appliquait strictement.
Suivant le même raisonnement que pour l’affaire précédente, la Cour de cassation juge, dorénavant, que les salariés qui se trouvent en arrêt de travail à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle pourront acquérir des congés payés pendant toute la durée de leur absence et non plus uniquement pendant un an.
A NOTER : Que ce soit pour la maladie non professionnelle ou l’accident du travail et la maladie professionnelle, la Cour de cassation a précisé que cette solution vaut pour tous les droits à congés payés (congé principal de 4 semaines et la cinquième semaine de congé, ainsi que pour les congés payés conventionnels) alors même que la directive 2003/88/CE limite la règle au congé légal de 4 semaines. En décider autrement aurait conduit selon la Cour de cassation à créer une discrimination, contraire à l’article L. 1132-1 du code du travail qui prohibe notamment les discriminations en raison de l’état de santé. Ainsi, les salariés absents pour maladie (d’origine professionnelle ou non) acquièrent des droits à congé d’une durée identique à celle des salariés présents dans l’entreprise et exécutant un travail effectif.
Prescription du droit à l’indemnité de congés payés :
Dans l’affaire ayant donné lieu au pourvoi n°22-10.529, une enseignante a réalisé une prestation de travail auprès d’un institut de formation, pendant plus de 10 ans. Ayant obtenu de la justice que cette relation contractuelle soit qualifiée en contrat de travail, elle a demandé à être indemnisée des congés payés qu’elle n’a jamais pu prendre pendant ces 10 années. La cour d’appel a considéré que l’enseignante devait être indemnisée, mais uniquement sur la base des 3 années ayant précédé la reconnaissance par la justice de son contrat de travail, le reste de ses droits à congé payé étant prescrit. L’enseignante et l’institut de formation ont chacun formé un pourvoi en cassation.
Il est de jurisprudence constante que les congés payés ayant une nature salariale, ils sont soumis à la prescription triennale applicable aux salaires prévue par l’article L. 3245-1 du code du travail.
La question se pose est donc de savoir quel est le point de départ de la prescription d’une demande d’indemnité de congé payé ?
Jusque-là, la Cour de cassation considérait que le point de départ du délai de prescription de 3 ans de l’indemnité de congé payé devait être fixé à l’expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient pu être pris.
Or, en 2022 la Cour de justice de l’union européen (CJUE) a jugé que l’article 7 de la directive n°2003/88/CE et l’article 31 § 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne s’opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle le droit au congé annuel payé acquis par un travailleur au titre d’une période de référence est prescrit à l’issue d’un délai de trois ans qui commence à courir à la fin de l’année au cours de laquelle ce droit est né, lorsque l’employeur n’a pas effectivement mis le travailleur en mesure d’exercer ce droit.
S’alignant sur la jurisprudence européenne, la Cour de cassation juge, désormais, que lorsque l’employeur oppose la fin de non-recevoir tirée de la prescription, le point de départ du délai de prescription de l’indemnité de congés payés doit être fixé à l’expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient pu être pris dès lors que l’employeur justifie avoir accompli les diligences qui lui incombent légalement afin d’assurer au salarié la possibilité d’exercer effectivement son droit à congé.
Ainsi, le délai de prescription de l’indemnité de congé payé ne peut commencer à courir que si l’employeur a pris les mesures nécessaires pour permettre au salarié d’exercer effectivement son droit à congés payés.
Dans cette affaire, l’enseignante n’avait pas été en mesure de prendre des congés payés au cours de ses 10 années d’activité au sein de l’institut de formation, puisque l’employeur n’avait pas reconnu l’existence d’un contrat de travail. Dès lors, le délai de prescription ne pouvait pas commencer à courir. La Cour de cassation censure donc la décision de cour d’appel.
Rappelons qu’il appartient à l’employeur de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité d’exercer effectivement son droit à congé, et, en cas de contestation, de justifier qu’il a accompli à cette fin les diligences qui lui incombaient.
Les employeurs ont tout intérêt à tenir compte de ces jurisprudences dès aujourd’hui pour les salariés qui seront en arrêt de travail au regard de leur droit à congés payés dans l’attente de l’intervention du législateur pour mettre le droit national en conformité avec le droit européen. A défaut, ils s’exposent à un contentieux face aux salariés concernés.
Juriste
- 2 octobre, 2023